Poésie du soir.
- Par LESTEL Christian
- Le 23/04/2021
Poésie du soir avec... "Du bout du monde de ses rêves" de Paul Eluard.
Cherchez la nuit
Il fait beau comme dans un lit
Ardente la plus belle des adoratrices.
Se prosterne devant les statues endormies de son amant
Elle ne pense pas qu'elle dort
La vie joue l'ombre la terre entière
Il fait de plus en plus beau nuit et jour
La plus belle des amantes
Offre ses mains tendues
Par lesquelles elle vient de loin
Du bout du monde de ses rêves
Par des escaliers de frissons et de lune au galop
A travers des asphyxies de jungle
Des orages immobiles.
Des frontières de ciguë
Des nuits amères
Des eaux livides et désertes
A travers des rouilles mentales
Et des murailles d'insomnie
Tremblante petite fille aux tempes d'amoureuse
Où les doigts des baisers s'appuient contre le cœur d'en haut
Contre une souche de tendresse
Contre la barque des oiseaux
La fidélité infinie.
C'est autour de sa tête que tournent les heures sûres du lendemain
Sur son front les caresses tirent au clair tous les mystères
C'est de sa chevelure
De la robe bouclée de son sommeil
Que les souvenirs vont s'envoler
Vers l'avenir cette fenêtre nue
Une petite ombre qui me dépasse
Une ombre au matin.
Paul Eluard, "Elle se fit élever un palais" extrait, I947. Ouvrage comprenant un ensemble de 12 bois gravés de Serge Rezvani.
Biographie.
Eugène Grindel, dit Paul Éluard, est le fils d'un comptable et d'une couturière issus de la petite-bourgeoisie. D'une santé fragile, il fait, de 1911 à 1913, un séjour dans un sanatorium en Suisse. Il y rencontre une étudiante russe, Helena Dimitrovnie Diakonova, dite Gala (1894-1982), qu'il épousera en 1917. Dès 1914, il est mobilisé comme infirmier, puis volontaire pour le front. Sa sensibilité restera meurtrie par l'épreuve des tranchées. Dès la fin de la guerre, il rencontre Louis Aragon, André Breton, Philippe Soupault et devient un membre actif du groupe surréaliste. Il trouve une réponse à sa révolte horrifiée en participant au mouvement dada (les Animaux et leurs hommes, 1920 ; les Nécessités de la vie et les Conséquences du rêve, 1921). Plus que Breton, Max Ernst, rencontré en 1921, est l'ami du couple Éluard et les premières écritures à quatre mains ont lieu avec lui. Les Malheurs des immortels (1922) établissent de secrètes correspondances entre les dessins du peintre et les courtes proses du poète. En 1924, à la suite de graves difficultés familiale et conjugale, Éluard traverse une crise profonde. La même année, il dédie à Breton Mourir de ne pas mourir, qu'il présente comme son adieu à l'écriture. Le poète s'éloigne alors et entreprend seul un long voyage de sept mois – qu'il qualifiera d'« idiot » –, qui le mène en Océanie.
À son retour à la fin de l'année 1924, Éluard reprend sa place dans le groupe surréaliste et la direction de sa revue Proverbe, créée en 1920. Le proverbe est pour lui « un langage charmant, véritable, de commun échange entre tous », qui lui inspire un recueil écrit avec Benjamin Péret : 152 proverbes mis au goût du jour (1926). Cette même année, il adhère au Parti communiste et publie le recueil qui l'établit comme poète important, Capitale de la douleur. Il travaille à une anthologie de poèmes français, qu'il ne fera paraître qu'en 1951 (Anthologie de la poésie du passé). En 1929, il publie l'Amour la poésie et, en 1930, en collaboration avec Breton et René Char, Ralentir travaux. C'est à cette époque que sa femme Gala le quitte pour Salvador Dalí. La Vie immédiate (1932) et la Rose publique (1934) continuent d'alimenter la participation d'Éluard au groupe surréaliste.
Progressivement, Éluard abandonne l'écriture automatique chère à Breton. Malgré son exclusion du Parti communiste en 1933, il continue de militer dans des organisations de gauche. En 1934, il épouse Nusch (1906-1946), rencontrée quatre ans plus tôt, qui devient sa nouvelle égérie. Sensible à l'art plastique, il transpose dans ses poèmes le langage des peintres (les Yeux fertiles, en 1936, témoignent de son amitié naissante avec Picasso). En 1938, le Front populaire et la guerre civile d'Espagne ayant aggravé les désaccords entre Breton et Éluard, c'est la rupture entre les deux hommes. À partir de 1940, la vie du poète se confond avec celle de la Résistance : dans la clandestinité, il anime le Comité national des écrivains en zone nord ; en 1942, il renoue avec le Parti communiste et publie Poésie et Vérité (où figure le fameux poème « Liberté ») ; en 1943, il collabore à l'Honneur des poètes et, en 1944, il rassemble ses poèmes militants dans Au rendez-vous allemand.
La guerre terminée, Éluard publie Poésie ininterrompue (1946), où transparaît l'enthousiasme né de la Libération. Malheureusement, quelques mois plus tard, il perd brutalement Nusch (Le temps déborde, 1947). Désespéré, pensant au suicide, il tente de fuir sa détresse et voyage à travers l'Europe (Italie, Yougoslavie, Pologne, URSS, Grèce). À l'équipe surréaliste, il préfère désormais la solidarité avec le genre humain (Poèmes politiques, 1948 ; Une leçon de morale, 1949). Son écriture s'ouvre davantage aux thèmes sociaux et universels, sans renoncer pour autant aux exigences formelles. L'existence se poursuit ainsi jusqu'au troisième cycle, celui de Dominique (1914-2000), rencontrée en 1949, dont Éluard fait sa dernière épouse et auprès de laquelle il retrouve la joie de vivre (Pouvoir tout dire et le Phénix, 1951). Il meurt trois ans plus tard, emporté par une angine de poitrine, laissant une œuvre dominée par le thème de l'amour, où la femme apparaît comme la médiatrice indispensable entre le poète et le monde.
Photo :
- Paul Eluard