Les Lumières ont fini par s’éteindre au Caire.
- Par LESTEL Christian
- Le 07/05/2014
On oublie souvent que Napoléon BONAPARTE, grand lecteur de ROUSSEAU, était un homme des Lumières. Et on ne risque pas de s’en souvenir longtemps, étant donné que l’Empereur a pratiquement disparu des programmes d’histoire. Bonaparte était un véritable esprit scientifique, curieux de tout, si bien qu’il prend l’habitude, dès la campagne d’Italie, de se faire accompagner de savants.
En mars 1798, le Directoire commence à s’inquiéter de la popularité de Bonaparte après la campagne victorieuse d’Italie. TALLEYRAND décide alors de l’éloigner en l’envoyant en Égypte, pour couper la route des Indes aux Anglais. L’expédition a aussi une vocation scientifique : une Commission de 151 savants, parmi lesquels MONGE et BERTHOLLET, embarque le 19 mai avec une armée composée de 36000 soldats et 2500 officiers.
Le 21 juillet, Bonaparte écrase les Mamelouks à la bataille des Pyramides et entre au Caire le 24 juillet. Une semaine plus tard, il s’inspire de l’Institut de France pour créer l’Institut d’Égypte. Sous la présidence de Monge, les savants, chargés d’étudier l’Égypte, s’organisent en plusieurs sections : mathématiques, physique et histoire naturelle, économie politique, littérature et arts. Après l’écrasement de la flotte française par NELSON le 2 août dans la rade d’Aboukir, la campagne militaire tourne à l’échec mais cela n’empêche pas les savants et les ingénieurs de mener à bien leurs travaux. Tout les a intéressés : les antiquités, mais aussi l’architecture, la langue, les structures sociales, l’état sanitaire, le régime des eaux, la musique, l’artisanat, l’industrie, la topographie et même la minéralogie… L’hiver 1798-1799 se passe en explorations diverses, en Basse Egypte et autour du Caire, mais aussi en réalisations pratiques : création d’une imprimerie, qui fonctionnera avec les caractères arabes pris au Vatican lors de la campagne d’Italie, création d’un hôpital, mise en place d’ateliers de mécaniques, le tout nécessaire au bon fonctionnement de l’armée française et de la commission, mais aussi moyen d’introduire de nouvelles techniques au service des Égyptiens. Les savants reviennent d’Égypte en 1802. CHAPTAL, qui est alors ministre de l’intérieur, les invite à publier tout le matériel scientifique de l’expédition: l’Empereur souhaite en faire une Encyclopédie égyptienne. Les premiers volumes paraissent en 1809. Plus tard, captif à Sainte-Hélène, Napoléon se préoccupe de savoir si la publication est terminée. En fait, il meurt en 1821 et l’ouvrage n’est achevé qu’en 1823. Il s’intitule “Description de l’Egypte ou Recueil des observations et recherches qui ont été faites en Egypte pendant l’expédition française“: outre 9 volumes de texte, il comporte 10 volumes de planches: 5 consacrés à l’Antiquité, 2 à l’État moderne et 3 à l’Histoire naturelle, soit un total de 974 planches, réellement magnifiques, dont 74 en couleur, auxquelles il faut ajouter un splendide atlas cartographique.
Au Caire, situé non loin de la place Tahrir, l’Institut d’Égypte avait survécu au temps. Il a été incendié lors des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Le bâtiment actuel, qui abritait quelques 200000 ouvrages, certains rarissimes, a été détruit. Les volumes de l’édition originale de la Description de l’Égypte sont partis en fumée.
Décidément, après la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie, en 642, il ne fait pas bon être une bibliothèque en Égypte. Quant au Printemps arabe, qui fait tant bander les pauvres lecteurs du Nouvel Obs, nous en reparlerons bientôt.
22 mars 2012