Musique - Musik

Instant musical de la nuit avec... "À la gloire l'esprit humain, qu'il incarne le meilleur ou le pire" ou la Cinquième symphonie en si bémol majeur, Op. 100 de Sergueï Prokofiev.


Époque : 1910-1950,
Effectif : Grand orchestre sans soliste,
Genre : Symphonie,
Durée : Longue, entre 40 et 60 mn

De quelle musique s'agit-il ?

Il est curieux de remarquer que les symphonies numérotées 5 ont souvent une qualité plus marquée que les autres de la série (Beethoven, Tchaikovsky, Prokofiev, Chostakovitch, avec quelques exceptions notables comme Bruckner ou Mahler). La Cinquième Symphonie de Prokofiev regroupe la plupart des qualités du compositeur, en particulier celles qu'il avait démontrées dans les trois précédentes. Souffle héroïque, percussions prépondérantes, masse orchestrale imposante, thèmes lisibles mais orchestration complexe et torturée, ironique ou sarcastique, innovations instrumentales (piano, percussions, cuivres, motifs aux cordes, etc.). Sous une structure classique, Prokofiev propose une lecture tout à fait moderne et personnelle de la symphonie. Créée en 1945 à Moscou sous la direction du compositeur, elle rencontre un succès immédiat, le peuple soviétique y voyant une allusion aux victoires militaires et politiques qui se profilaient à cette époque. Pour l'anecdote la symphonie commence au moment même où une canonnade retentit en ville pour annoncer le franchissement de la Vistule, le principal fleuve Polonais, par l'armée rouge. Enfin, Prokofiev considérait cette symphonie comme "l'aboutissement d'une vie de création".

I. Andante - 0:26
II. Allegro marcato - 13:51
III. Adagio - 22:41
IV. Allegro giocoso - 35:17

Portée par un élan guerrier et lumineux, elle commence cependant par des mesures sombres et un premier mouvement qui finit dans l'apocalypse. La masse orchestrale est utilisée à plein régime, renforcée par les coups de gong, pour abasourdir l'auditeur devant la toute-puissance de ce qui peut être la violence, ou la mort, à la manière du final de la Troisième Symphonie. Le scherzo qui suit est tout simplement génial, les motifs aux cordes créent des points d'appuis mouvants, rejoignant les glissandi de la Troisième, tout comme les thèmes esquissés par les vents. La partie centrale présentent les cuivres jouant le rôle de percussions, alors que les vents lancent leurs plaintes vers les cieux, jusqu'au retour des violons glacés, sur le thème initial, brisé en son milieu, pour fermer cycliquement ce mouvement qui est particulièrement marquant. Débute alors un adagio sur un long thème mélancolique, qui rencontre une farouche opposition avec un épisode orageux, roboratif, mécanique, un orage d'acier, qui se répétera plusieurs fois, jusqu'à un cataclysme brûlant toute vie ou tout sentiment de vie. Il ouvre ainsi la porte pour le dernier mouvement, véritable renaissance, sur des thèmes champêtres, naïfs, voire animaliers, qui développent une narration sans but autre que la joie de vivre, jusqu'à un final endiablé, évoquant une danse glorieuse de gentils démons.

Très bonne écoute de la Cinquième symphonie en si bémol majeur, Op. 100 de Sergueï Prokofiev par l'orchestre symphonique de Frankfurt Radio Symphony sous la direction de Aziz Shokhakimov*.

* Né à Tachkent en 1988, Aziz Shokhakimov donnait son premier concert à l’âge de 13 ans en dirigeant le Concerto n°1 de Liszt et la 5 ème symphonie de Beethoven ! A 21 ans, il remportait le deuxième prix du concours de direction Gustav Mahler. Sa carrière était lancée, Dresde, Houston, Bologne, Monaco, Londres, Düsseldorf, bien d’autres encore.
Entre le chef et l’orchestre, le courant passe visiblement. Des ensembles en parfaite harmonie aux solos admirables, les orchestres donnent toutes leurs mesures sous la baguette d’Aziz Shokhakimov !

Dans la série des grands compositeurs : Sergueï Prokofiev.

Dans la série des grands compositeurs : Sergueï Prokofiev.

Qui était-il ? Quelle était sa musique ?

Compositeur soviétique né en 1891, il disparaît en 1953, à l'opposé de Stravinski, Prokofiev décide de revenir dans son pays suite à un exil d'une dizaine d'année et de poursuivre son travail de compositeur, malgré une certaine pression esthétique de la part du régime de Staline. Néanmoins cette pression se manifeste avant tout par un refus du modernisme de forme (on souhaite rester dans les symphonies/concertos/sonates, etc.), d'atonalité, de musique abstraite, mais également par un refus d'atmosphère aristocratique (on veut oublier la musique de noble pour produire une musique populaire au sens premier). Cette pression n'interdit en rien l'exploration de nouvelles sonorités, nouveaux arrangements, nouveaux effets (la dissonance est tolérée), et paradoxalement l'exigence de musique "concrète" est hautement créatrice.

La musique de Prokofiev reste unique en son genre, bien que l'on y décèle les enseignements de Korsakov qu'il a suivit dans sa jeunesse ou la verve de Tchaïkovsky, et ne se rapproche que de celle de son compatriote Chostakovitch, malgré de franches différences. Elle aura un impact immense sur la musique de film. Par ailleurs Prokofiev a composé de nombreuses bande-son de films (Eisenstein notamment) de son vivant. S'il fallait résumer en quelques mots sa musique, on chercherait le vocabulaire du côté de l'énergie, le feu, l'acier, la machine, le broyage, le martèlement, la tension, la ligne de force, la mouvance, l'instabilité, la terreur, mais si ces dimensions prédominent dans la production de Prokofiev, elles n'en épuisent pas le sens car ce serait oublier ces moments de douceurs et de paix qui ponctuent ses œuvres. Profondément contrastée et torturée sa musique évoque à la fois la misère destructrice et la grandeur de la créature humaine. Alternant les longues plaintes criardes de peuples d'esclaves fantasmés, elle sait aussi affirmer leur unité dans la révolte conquérante. Ponctuée par les coups de canons, les blindés, les avions, et les innombrables meurtres des deux guerres, elle sait chanter l'héroïsme des survivants, mais aussi leur tristesse et leur souffrance. Reprenant des idées nobles de grandeur et de beauté, elle sait les passer à travers le prisme de la réalité humaine. C'est une musique qui parle directement au cœur, et c'est sûrement pourquoi elle a connu un si vif succès dès ses débuts en URSS mais aussi à travers le monde, car au-delà des frontières, nous restons tous humains.

Les contrastes internes que présentent les œuvres de Prokofiev expliquent une certaines unité de style entre elles. La patte du compositeur est d'ailleurs assez repérable au sentiment de rugosité pleine de vie et d'énergie que nous évoque sa musique, sans pour autant tomber sans le piège de la grossièreté. Du moins rarement. Sa première symphonie, néoclassique, imitant les premières symphonies de Haydn ou Mozart, est plus une plaisanterie qu'une véritable œuvre, même si certains l'ont comprise ainsi. En revanche ses symphonies 2, 3, 4, et 5 font partie des grandes œuvres du XX ème siècle, et les 6 et 7 des œuvres respectables. L'univers concertant a moins réussi à Prokofiev, il passe parfois la limite de la révolte esthétique pour sombrer dans le cri strident et grossier. A cet égard son deuxième concerto pour violon est atroce (et rejoint celui de Stravinski ou ceux de Bartók), à l'opposé du premier bien plus réussi, car plus tempéré. Ses concertos pour piano visent le même soufflent que ses symphonies, mais manquent parfois de structures, l'alternance décousue de motifs étant parfois pénible. Ses sonates pour piano n°6, 7 et 8 (dite sonates de guerre) valent pour leur fougue guerrière terrorisante.

Photos :

- Sergueï Prokofiev

Serguei prokofiev

Date de dernière mise à jour : 26/04/2021